Mariya Nedelcheva : La réponse à cette question simplifierait bien les choses. Pour la mission, il s’agissait d’observer, d’analyser toutes les étapes du processus électoral et, à la fin, de bien différencier certains aspects de ce processus qui pourraient entamer la confiance dans les résultats définitifs.
RFI : Vous vous penchez en effet sur toutes les étapes du dépouillement. Vous dites que la Céni [Commission électorale indépendante] a bien publié les résultats détaillés, bureau de vote par bureau de vote. Le problème, dites-vous, c’est qu’elle n’a pas publié les originaux ?
M. N. : Pour nous, effectivement, il y a un problème de manque de transparence. Si la Céni a finalement publié des résultats détaillés par bureau de vote, ces résultats ne comprennent pas les procès-verbaux scannés de chaque bureau de vote, établis à la fin du dépouillement. Et donc, les résultats publiés ne reprennent que la saisie informatisée des PV qui ont été réalisés au sein des centres locaux de compilation des résultats. Mais pour nous, il reste que la publication de chaque PV des bureaux de vote sur le site de la Céni, est une garantie qui permettrait de voir que les résultats tels qu’ils ont été annoncés reflètent la réalité.
RFI : Sur le terrain, le soir du vote, je crois qu’un certain nombre de vos équipes ont noté des résultats bureau de vote par bureau de vote. Ces résultats correspondent-ils avec ceux qui ont été publiés par la Céni ?
M. N. : Nous avons des exemples qui montrent bien que les résultats publiés par la Céni ne sont pas les résultats que nos observateurs à nous, suite à l’observation directe, ont pu constater. C’est notamment le cas à Lubumbashi.
RFI : Vous vous penchez également sur la phase cruciale de collecte des résultats au niveau des 169 centres de compilation et vous dites que, dans plusieurs de ces centres, les témoins des différents candidats ont été empêchés d’observer ces opérations. Que s’est-il passé ?
M. N. : Au niveau des centres locaux de compilation des résultats, l’une des garanties était la présence, justement, des témoins des candidats ou des partis politiques à toutes les étapes de la compilation. Il fallait également avoir leur signature sur la fiche de compilation et le procès verbal. Or, dans un certain nombre de bureaux, les témoins des candidats et des partis politiques n’ont pas pu assister à cette phase cruciale, ce qui pour nous pose la question de la transparence et surtout de la garantie par leur biais de la crédibilité de ces élections.
RFI : Vous dites que, contrairement à la loi, les résultats de ces centres de compilation n’ont pas été affichés ?
M. N. : Effectivement, l’affichage public des résultats agrégés au niveau du territoire -je vous rappelle qu’il s’agit de l’article n°70 de la loi électorale-, devait justement permettre de s’assurer que les résultats sont publics. Or cela n’a pas été fait. On pourrait citer notamment les territoires du Katanga, le Sud-Kivu, Kinshasa, la province Orientale également. Et donc pour nous, c’est d’autant plus inquiétant que par la suite, le bureau de la Céni a demandé à plusieurs centres locaux de compilation de résultats de ne pas afficher immédiatement les résultats de la compilation. Ils devaient d’abord les envoyer au siège de la Céni ; par ailleurs, on n’a pas d’explications raisonnables quant au retard pour ce qui est de l’affichage public.
RFI : Autre étape au niveau national au siège de la Céni à Kinshasa, vous dites que témoins et observateurs n’ont pas eu accès au centre national de traitement ?
M. N. : Effectivement, ni les observateurs, ni d’ailleurs les témoins des candidats des partis politiques, n’ont pu entrer et voir comment cela fonctionne dans ce centre national de réception des résultats.
RFI : Vous dites que l’absence de témoins, lors de cette phase nationale de consolidation des résultats, ne peut qu’affecter la confiance dans les résultats annoncés et leur crédibilité. Selon vous, est-ce que toutes ces irrégularités peuvent avoir modifié l’ordre d’arrivée des candidats ou pas ?
M. N. : Répondre à cette question n’entre pas dans le cadre de notre mandat. En revanche, ce qui relève de notre mission, c’est de continuer à insister sur le fait que la confiance dans les résultats affichés passe justement par ces différentes étapes au cours desquelles les observateurs devaient voir ce qui s’est passé le jour du vote.
RFI : Et donc votre confiance est affectée ?
M. N. : Notre confiance est susceptible d’être encore plus affectée si l’on continue à constater des manques qui, pour nous, sont essentiels à toute élection qui se veut transparente et crédible. Et donc on continue à suivre les choses de près.
RFI : Donc en clair, vous n’avez pas confiance en ces résultats ?
M. N. : Non, on ne peut pas dire ça. La confiance, ce sont les citoyens congolais qui doivent l’avoir, ce sont ceux qui ont voté. Ce n’est absolument pas à la mission d’observation électorale internationale de dire si nous avons confiance ou pas. On a été invités pour observer un processus, pour voir dans quelle mesure il respecte les standards internationaux et là, notre travail s’arrête une fois que nos conclusions sont rendues publiques.
RFI : A partir de là, que faut-il faire : recompter ? Est-ce qu’il faut annuler ?
M. N. : Ce n’est certainement pas à nous de donner la solution. Il relève essentiellement de la responsabilité des acteurs politiques congolais et des autorités congolaises de décider comment le processus peut continuer.
RFI : Si aujourd’hui vous étiez juge à la Cour suprême à Kinshasa, que diriez-vous ?
M. N. : On suit également de près, moi et mon équipe, ce qui va se passer car la mission d’observation électorale de l’ONU et de l’Union européenne s’inquiète d’un fait : jusqu’ici, ses observateurs n’ont pas eu accès aux arrêts de la Cour suprême de justice.
RFI : C’est-à-dire que là aussi, il y a un manque de transparence ?
M. N. : Il y a un manque de transparence. Jusqu’ici, les délibérations de la Cour suprême de justice étaient faites en séance publique, dorénavant elles se font à huis clos. Aussi cette question de la confiance est importante. Ils peuvent décider de délibérer à huis clos, mais il faut que tous les éléments garantissant la transparence soient présents, et à ce moment-là, notre confiance dans la Cour suprême de justice sera plus importante.
RFI : Sinon elle sera affectée ?
M. N. : Oui.
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